Je perçois la vie comme une métaphore de la jungle. Tous les jours on traverse des forêts, des villes, des sentiers, des lieux, on rencontre des personnes, des couleurs, des textures diverses. Chaque lieu, chaque regard et chaque sensation appelle à se plonger dans une nouvelle exploration, à élargir son propre horizon et à travers cette exploration, apparaît une jungle de créativité. L'inspiration naît ainsi : parfois on se suspend à une liane, parfois on prend le large en canoë, puis on grimpe entre des rochers, on escalade des murs, on trempe les pieds dans l’eau, on s’agrippe à la terre. Et à mesure qu'on avance dans cette jungle, la végétation devient plus dense, mais cette densité n'est qu'un appel à être débroussaillée pour découvrir les racines et les chemins qui nous guident.

 

Les images de mes journées, des livres lus, des voyages réalisés, des mouvements des gens, des actions entreprises, les représentations de la nature, qui nourrissent mon être, s’entrelacent, éclatent puis disparaissent dans ma tête créant un univers où tout ce mélange à sa manière. 

Un univers qui suit sa propre logique qui est peut-être illogique aux yeux des autres. Ce décalage face à la vie et aux conventions imposés je l’ai ressentie très jeune. Et c’est ainsi que j’ai choisi de me confronter au monde, à sa diversité et de plonger dans ma propre jungle, pour comprendre ce petit houppier que je suis, qui tente de se trouver. Poussée à plonger dans mes profondeurs, à vouloir saisir l’ensemble du spectre des couleurs, à appréhender le prisme façonné par la diversité infinie du monde, je me déplace dans ce monde. 

 

Plusieurs lignes de création, de connaissance et d’inspiration façonnent ma jungle.

 

L’anthropologie, l’ethnologie et la sociologie m’ont toujours fascinées. Elles m’ont ouvert les yeux sur la richesse des diversités humaines et culturelles. J’ai pu découvrir (et je découvre encore) qu’il n’existe pas une seule manière de comprendre ou de définir la vie, mais plutôt une multitude d’ontologies. Les individus pensent, ressentent, agissent en fonction de leurs vision du monde et de leurs culture. Ainsi, chacun génère des mondes distincts, façonnés par sa perception et ses interactions.

Les travaux de Tim Ingold et de Philippe Descolas m’ont profondément fait changer ma perception sur le monde et sur l’environnement. Ils dessinent un monde dans lequel tous les êtres vivants, humains et non humains, cohabitent où par leurs interactions, ils créent un monde.  Habiter le monde implique une action active où chaque élément est déterminant, les êtres vivants de toutes sortes constituent les conditions de vie des uns et des autres; ils s'entrelacent pour former un immense réseau toujours en évolution.

 

Le Hip-Hop est une culture à laquelle je dois beaucoup, surtout en termes d’état d’esprit et des valeurs qu’elle prône. Elle m’incite à être dans le partage, la créativité, la recherche de soi et l’affirmation de mon propre style.

C’est une culture où le mélange, la diversité, le côté „pied sur terre“, et la débrouillardise sont très omniprésentes et où, à chaque cadence, l’essentiel est là: se trouver et s’affirmeraient avec sa propre personnalité, même si cela demande des années de recherches et de remises en questions. 

Les écrits de Pierre Bourdieu et des Pincons charlots m’ont toujours beaucoup marquée, m’aidant à comprendre certaines dynamiques qui existent dans notre monde. Les lieux que je fréquente grâce au Hip-Hop  comme La Place, Le 104, La Villette, le gymnase Dausmenils, les centres de jeunesse, me procurent une sensation de joie et me relient à l’essentiel : aux relations brutes, à la danse et à cette énergie partagée où, malgré nos différences, nous nous retrouvons tous dans un même espace. 

L’improvisation de Hip-Hop (le freestyle) occupe une place très importante dans ma démarche artistique. Elle est un moyen de chercher des idées, de m’évader dans des profondeurs créatives, d’inventer et d’approfondir mon univers personnel, ma bulle, tout en trouvant un certain équilibre entre mon esprit et corps. Improviser à deux ou en groupe est un outil parfait pour la rencontre et pour créer ensemble des histoires, où la spontanéité et la sensibilité de chacun prennent toute leur importance.

Je me revois, jeune adolescente, pleine de rage et de déceptions vis-à-vis de moi même et du système scolaire, aller me défouler à la danse. Au début, ce n’était pas tant le mouvement qui m’attirait, mais l’état d’esprit que cette danse émanait d’elle. 

Les textes conscients de Kery James, Youssoupha, MC Solaar, Abd el Malik,  IAM, Keny Arkana résonnaient dans mes oreilles. J’aimais les tages, les graffitis et les couleurs un peu enfantines et sauvage qu’on voyait dans les rues. J'aimais l'idée de se débrouiller, d’être face à soi-même, de prendre un autre chemin que celui qui est tracé, imposé. L’envie de savoir si on peut vraiment prendre d’autres routes, de casser les codes – ses propres codes, aller déjà à l’encontre de soi-même et des codes et des habitudes de la maison – et le fait d’être entourée de personnes différentes, qui n’ont rien à voir avec ma bulle sociale et culturelle. 

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J’aime particulièrement interagir avec les objets. Concrètement, j’explore les relations que j’entretiens avec avec la grande diversité du monde et crée des interactions sociales avec les objets, en leur permettant, dans mon imaginaire, de devenir des interlocuteurs qui finissent par jouer un rôle important dans mes créations. J’aime l’idée de percevoir dans les objets des propriétés physiques et des états intérieurs qui résonnent avec ceux que je vis moi-même.

 

Les romans sont aussi une grande part d’inspiration pour moi et nourrissent ma fantaisie. Les mots choisis par les auteurs reflètent les pensées profondes des personnages, les choix qu’ils font sous l’emprise de leurs émotions, les regards qu’ils posent sur les choses qui les portent sur leur environnement, les secrets enfouis, et la diversité des natures humaines. Ma nature rêveuse est attirée par les récits qui explorent la vie et l’univers intérieur des individus , par leurs gestes et leurs manière de contempler le monde. Les romans offrent un large éventail de compréhensions de l’humain, m’inspirant pour créer l’univers intérieur des personnages que j’interprète au théâtre.

 

Dans mon approche artistique, j’intègre mes différentes passions – la danse hip-hop, l’anthropologie, la littérature, le physical théâtre, l’illustration, la botanique. La transdisciplinarité se construit comme le fil rouge conducteur de mon style et reflète la complexité de l’existence humaine ainsi que la pluralité de ses possibles.

Je laisse mon regard éveillé et curieux s’imprégner des évènements que le quotidien et la nature nous offrent chaque jour en spectacle, et je les laisse nourrir mon imagination. 

Ce monde m’inspire, et pour le comprendre, pour capter l’arc en ciel des couleurs et de ses variations, je m’aventure à sa rencontre, seule, en explorant différents milieux, en côtoyant des publics variés, de tous âges. L’idée d’extraire des habitudes, de se me retrouver en décalage et se de me confronter ainsi à d’autres ontologies qui existent dans l’univers me plaît beaucoup. 

Je vois le monde comme un terrain de jeu universel, propice à la création de combinaisons artistiques diverses et infinies.